Le regard fixe, Seven observait toutes ces petites fourmis qui s’excitaient au milieu de l’immense vaisseau dans lequel elle-même avait été embarquée. Ils semblaient tous si … galvanisés, si joyeux, si enthousiastes… Dire qu’elle-même était là par plaisir ou par désir personnel quelconque d’aller visiter un caillou flottant dans l’espace aurait été mentir. Dire que le sourire qui étirait ses lèvres à ce moment précis était un sourire d’impatience était une très mauvaise conclusion visuelle. Le sourire était amer, et Seven n’était pas impatiente ou avide de poser le pied sur la petite planète qu’ils étaient censés investir, fouiller et piller. Mais du moins ne donnait-elle pas l’impression du contraire, pour le moment.

C’était Antarès. C’était ses supérieurs qui avaient jugé intéressant de la mettre aux commandes. Ils savaient très bien qu’elle n’en avait eu aucune envie, que ce genre de chose ne l’intéressaient pas. Mais ils savaient également très bien manipuler sa loyauté et elle n’avait eu d’autres choix que de monter à bord du vaisseau expéditionnaire qui filait à présent droit vers P-127(x).

Assise sur une caisse en attente de transport, un genou replié contre sa poitrine, elle profitait de sa première « pause » de la journée. Jeff Dickens venait de prononcer les derniers mots de son discours et dans l’air flottait encore l’odeur des hormones humaines en ébullition. Tout le monde retournait, presque en courant, à ses tâches respectives et elle restait là, appuyée sur un bras, l’autre pendant dans le vide, soutenu par le genou, une cigarette se consumant d’elle-même entre ses doigts et l’envie furieuse de dégommer tout ce qui interromprait sa pause brillant dans son regard. Mais personne ne s’approcha, et elle dut se contenter d’une bouffée de tabac chargée de nicotine pour se convaincre de se redresser et de se lever de la caisse.

Ils allaient bientôt débarquer. Débarquer sur une planète – une véritable planète ! Comme celle dont ils venaient tous – probablement plus qu’hostile mais recelant des trésors que convoitaient plus que tout l’humanité. D’ailleurs, la première chose qui l’avait interpellée dans cette mission gargantuesque, c’était très certainement la soudaine envie de s’entraider qui avait investi l’esprit de tous les dirigeants des colonies. Si cela n’était pas totalement une mauvaise chose (elle aurait très mal vu Antarès se débrouiller tout seul dans cette tâche), le sentiment était peut-être trop récent ou trop passionnel pour être totalement rassurant. Rien que l’idée de devoir faire équipe avec un cyborg la révulsait. Si pour le moment, aucun n’avait encore croisé son regard par sa simple présence, elle ne doutait pas qu’une fois en bas, ça allait être différent. L’idée de ne pas pouvoir utiliser son arme contre eux aujourd’hui, de laisser sa mission personnelle de côté, était assez pour lui avoir donné l’envie de ne pas être ici aujourd’hui.

D’autant plus en tant que chef des opérations d’assaut et d’exploration.

La cigarette fut écrasée d’un coup de talon sec et rapide avant qu’elle ne se détourne de ses sombres pensées pour retourner dans la petite partie du hangar où ses collègues d’Antarès attendaient tandis que les derniers préparatifs au débarquement étaient accomplis. De la petite salle de réunion improvisée qui avait été la leur durant le temps du voyage ne restait qu’une table et une immense carte un peu floue de la surface terrestre de P-127(X).

Ses hommes lui jetèrent presque tous un coup d’œil peu discret. Savoir que Seven avait été promue responsable de l’exploration n’avait pas l’air de tous les ravir, mais elle répondait à ce sentiment général par une apathie non feinte. Ils étaient prêts à démarrer le gros du travail, à savoir : aller donner un bon coup de pied à l’excitation générale des soldats pour leur rappeler les détails sordides du discourt de Dickens et que la mission n’était pas que révolutionnaire sur le plan sociologique de l’espèce humaine mais surtout dangereuse et potentiellement mortelle pour celui qui ne prenait pas toutes les précautions nécessaires.

Seven ferma d’un geste sec la fermeture éclair de son gilet noir par-dessus la combinaison d’Antarès. Pour l’heure, elle était neutre. Ses collègues en avaient fait de même et ce fut à son tour de leur jeter un coup d’œil général.

« En avant les filles. J’espère que vous avez fait vos devoirs et que tout est bien clair dans vos têtes parce qu’une fois en bas, plus d’excuse qui tienne. Allez. Allons réorganiser cette bande de macaques surexcités avant qu’ils s’éparpillent comme des fous sur la surface de ce caillou. »

Sur ces paroles, Seven tourna de nouveau les talons, tête droite et maintient de soldat, pour se diriger vers le lieu où les attendaient capitaines et lieutenants, soldats et têtes brulées qui n’attendaient que de débarquer. On l’avait envoyée pour maintenir un semblant de discipline dans ces rangs hétéroclites… Et elle ne comptait pas décevoir ses propres supérieurs sur cette mission-là.