Florentia n'était qu'une patiente parmi les autres dans l’hôpital de Cypher. Assise en tailleur sur l'un des lits de la salle de réveil du département de cyber-chirurgie. Elle tenait sa tête à deux mains, clignant des yeux anarchiquement. Elle n'avais pas encore laissé pousser ses cheveux et portait toujours la coupe courte vaguement traditionnelle de l'académie, à l'exception d'une petite partie rasée sur le coté droit du crâne, là où les chirurgien avait ouvert pour ajouter deux ou trois trucs.
C'est tout ce qu'un observateur extérieur aurait pu remarquer à propos de Florentia.
Mais ses véritables problèmes concernaient ses yeux. Quant on venait de passer un bon mois dans le noir complet, retrouver soudainement des yeux fonctionnels était au mieux désagréable. La réactivation de ses nerfs optiques donnait la migraine a la jeune femme, et la sensation qu'elle ressentait en activant les matrices de réalité augmentée qui lui envoyaient un flot ininterrompus de données était délicate à décrire : une sorte de croisement entre recevoir une flèche enflammée entre les deux yeux et se faire arracher les yeux lentement.

Son médecin traitant, un type avec relativement peu de pièce d'origine, l'avait briefer sur ce que son corps allait subir pendant les quelques jours qui allait suivre son opération. Dans les premières heures, les séquelles directes de l'opération: irritation et picotement autour des yeux a cause de la régénération des tissus. Puis ensuite, migraine, acouphènes et fatigue le temps que sa plasticité cérébrale s'adapte aux prothèses. Pour l'instant, elle s'escrimait plus à essayer de ne pas arracher ses yeux fraichement réparés.
Et pourtant, grâce à sa pension d'invalide de guerre ses yeux n'était pas des premiers prix. Elle portait deux prothèses rétiniennes Eye-Know Mk 3.6, composées d'un revêtement extrêmement fin plaqué à l’intérieur de chaque œil et d'une fiche neuronale synthétique relié à l'aire visuelle de la jeune femme. Sous les os de son crâne, des fibres optiques couraient pour relier ses yeux jusqu'à son implant cochléaire émetteur-récepteur, ainsi que sur les capteur et stimulateurs bioélectrique de ses tympan et de ses cordes vocales et sa prise omni-connectique crânienne, et les autres systèmes d'interface et de commandes : Interrupteurs Orbiculaires, oculomoteurs et de tragus. Tout cet équipement lui offrait un système de communication intégré et un HUD tactique en réalité augmentée, sans compter l'acuité visuelle parfaite.
Cependant, toutes ces merveilles technologiques n'étaient pas grand chose quant on se débattait dans un flot d'information trop important pour être géré. La jeune femme n'arrivait pas a tenir plus d'une demi-douzaines de secondes sans passer à deux doigt de tourner de l'oeil. Le manuel d'utilisation de ses prothèses était intégré à sa puce de mémoire flash, mais n'avait toujours pas réussit à la lire. Elle ne connaissait que deux procédure : ON/OFF avec un clignement droit-gauche-droit, et le pointé-cliqué de navigation réaliser en regardant une icône et en cillant.

Florentia rêvait d'une cigarette, mais le fait qu'elle n'arrive pas à ouvrir les yeux plus de quelques secondes sans avoir une épouvantable migraine ne la motivait pas à quitter son lit pour se rendre a l'extérieur. Elle prit le partit d'attendre encore un peu, mais ça faisait presque une heure qu'on lui avait retiré ses bandages, et il n'y avait toujours pas d'améliorations.

Assister à une séance de présentation dans le cadre d'un réarmement organisé par Genom... Cela entrait réellement dans les attributions d'une jeune cyborg incapable de s'exprimer en public. Fort heureusement, Nysperia ne faisait qu'assister à la démonstration en tant que représentante des futures Lames de Cypher. Fière du rôle qu'on voulait bien lui attribuer, elle avait pris sur elle afin de paraître aussi calme que possible face à la foule d'hommes de sciences et de militaires présents au sein du complexe.

Une fois la présentation des prototypes achevées, le soldat cybernétique en devenir qu'était la petite blonde se vit autoriser une petite pause bien mérité. Cela dit, son travail du jour avait consisté à rester bien sagement dans son coin, même la machine à café s'était probablement montrée plus loquace que la petite demoiselle. Quittant l'estrade à pas feutrés, elle s'était rendue aux laboratoires pour récupérer un certificat suite à la demande d'un employé de Cypher. De statue vivante, elle était devenue coursière du dimanche, était-ce réellement une amélioration ?

Evoluant tranquillement au sein des longs couloirs qui composaient l'établissement, la blondinette passa devant plusieurs chambres sans qu'elles n'attirent son attention, jusqu'à ce qu'une patiente n'attire son regard. Bien qu'elle conserve le silence, elle semblait assujettie à une sourde douleur. En effet, si les sons étaient absents, le visage crispé de l'inconnue révélait la nature de son trouble. Sans doute un cuisant mal de tête qui faisait suite à une opération, à en juger par la portion de crâne rasée que Nysperia entrevoyait depuis sa position.

Bien que très timide, la petite cyborg se montrait toujours altruiste dans ses bons jours. Par chance, cette journée lui semblait agréable et elle n'éprouvait pas la moindre once de peur face à cette femme. S'approchant lentement de la porte, elle jaugea la patiente un instant avant de réduire la distance qui les séparait en minimisant le bruit de ses pas. En cas de migraine, mieux valait éviter de marteler le sol. S'abaissant en posant ses mains sur ses genoux, elle fit face à l'inconnue et la toisa avec curiosité, tout en penchant la tête sur le côté. En chuchotant presque, Nysperia prit la parole de sa douce voix.

"Madame ? Ca va ? Vous n'avez pas l'air bien..."

Impossible pour le moment d'identifier les raisons de ce malaise. Par le passé, Nysperia avait connu des opérations très handicapantes, ce qui avait nécessité une longue période de rééducation et nécessité beaucoup de courage. Les passages répétés dans les hopitaux de Cypher, ça la connaissait. De ce fait, elle était sans doute à même de procurer de bons conseils à cette anonyme...

En entendant la question de la jeune femme, Florentia sursauta. Elle ne l'avait en effet pas entendue arriver. Par réflexe, elle se tourna vers la petite blonde et se retrouva face-à-face avec ses grands yeux bleus. La militaire en convalescence eut un mouvement de recul réflexe, comme si elle s'était retrouvée nez-à-nez avec le canon d'une arme.
Elle s’exclama :
« Wow ! Ça va pas de vous faufiler devant les gens comme ça ? »
Puis, la jeune femme referma les yeux. La lumière du laboratoire lui faisait mal aux yeux, mais son chirurgien lui avait dit qu'elle était nécessaire a son rétablissement. Une histoire de plasticité cérébrale, ou un trucs du genre. En tout cas, elle recommença a masser ses tempes et ajouta rapidement :
« Pardon. Je suis un peu sur les nerfs en ce moment et vous m'avez surprise... Ça va, merci. Première opération et aussi la dernière. Enfin j’espère. »

Florentia se sentait un peu honteuse. Elle n'aimait pas vraiment perdre son calme. Même quant elle était en combat, que ce soit en service ou non, elle arrivait toujours à dominer ses émotions, voire à s'en servir pour être plus efficace. Coincée sur ce lit d'hôpital, sans pouvoir ouvrir les yeux, elle se sentait inutile et impuissante.
Mais le petit coup d'adrénaline que venait de lui donner la furtive jeune femme lui avait fait du bien. D'une part elle n'était plus toute seule avec sa douleur, ce qui l'aidait beaucoup à la gérer. Elle n'était plus une simple jeune femme en convalescence, mais un officier des F.I.D.S. De fait, elle avait un certain standing à maintenir, et des apparences à sauver. Pour certains cela pouvait passer pour de la fierté mal placée, mais vus que Florentia y trouvait une aide, elle n'en avait pas grand choses à faire.
De plus, le point positif d'avoir une bonne décharge d'adrénaline, c'était l'effet analgésique de l'hormone.

De fait, la jeune ex-aveugle inspira un grand coup pour mettre ses sens de coté quelques instants, puis dit à son interlocutrice surprise :
« Et vous ? Comment ça va ? Vous êtres là pour quoi ? »

Le mouvement de recul de l'inconnue alarma Nysperia, qui bondit en arrière également par mesure de sécurité. La jeune patiente visiblement surprise par cette visite incongrue sembla s'énerver, et la petite blonde cacha instinctivement son visage de ses mains, comme elle l'avait toujours fait dans les situations angoissantes. Lors de ce contact visuel fugace, la petite cyborg avait eu l'occasion de comprendre la nature de cette opération. Il s'agissait d'une amélioration, voir d'un implant d'ordre oculaire. Pas besoin d'être médecin pour deviner que ce genre de manipulation contre-nature pouvait devenir excessivement douloureux. Ne sachant plus où se mettre, la blonde détourna le regard en abaissant légèrement ses mains.

Les iris modifiés furent instantanément masqués par un rideau de cil, et l'anonyme reprit son massage crânien. Adoptant un ton moins énergique, la patiente s'excusa aussitôt pour son incivilité, justifiant son acte par sa nervosité actuelle. Tout à fait justifié, selon Nysperia, mais elle était toujours un peu effrayé par la brutalité de son interlocutrice. La brune demanda alors à l'adolescente d'expliciter les raisons de sa présence, tout en lui retournant sa précédente question. Prise de court, la blondinette fut contrainte de s'exprimer à nouveau. Cela ne l'enchantait plus, maintenant que la timidité s'était emparée d'elle, mais il fallait sauver les apparences.

"Je... Je vais bien, merci. En fait, je passais par là et comme vous aviez l'air d'avoir mal... Je me suis permise d'entrer."

Déglutissant après l'effort qu'elle venait de faire, Nysperia ne pouvait toujours pas rehausser son visage pour observer la femme à qui elle s'adressait. Pour ainsi dire, la simple idée de revoir les pupilles hypnotisantes en face soulevait une sourde angoisse dans son esprit. Elle conclut, cependant, désireuse de ne pas passer pour une idiote.

"Désolée de vous avoir fait peur, c'était pas dans mes intentions."

Florentia sourit en entendant la jeune femme s’excuser. Elle n'avait rien de spécial à se reprocher, mais elle s'excusait quand même.
Elle était un peu trop gentille, mais au moins elle était gentille.

« C'est rien je vous dit, mais si vous tenez vraiment à vous excuser, vous pouvez m'accompagner dehors. »

Sur ce elle quitta son lit à tâtons, pris une grande respiration et ouvrit les yeux. Son HUD était désactivé, ce qui réduisait grandement sa tension oculaire. C'était toujours relativement douloureux, mais quelque part dans sa tête, la jeune femme avait décidé d’arrêter de faire sa chouineuse pour prendre le taureau par les cornes.
Elle passa sa veste par dessus sa blouse, glissa ses pieds dans ses bottes sans les fermer ni ajuster son pantalon de coton blanc et vérifia que ses cigarettes se trouvaient bien dans sa poche, avant de se diriger vers la porte.
Elle s’arrêta plusieurs fois en chemin, histoire de fermer les yeux pour souffler un coup. Elle avait l'impression d'avoir moins mal, mais se doutait bien que ça avait plus à voir avec le fait qu'elle avait arrêté d'essayer d'ignorer sa douleur pour l'affronter. C'était purement psychologique, mais elle ne s'en plaignait pas.

La notion d'extérieur était assez relative quand on était né et avait vécu dans une station spatiale. Mais l'hôpital avait une salle verte : une pièce ressemblant vaguement à un patio, avec des arbres et des plantes d'ornement poussant hors-sol ainsi qu'un système d'aération extrêmement perfectionné.
Florentia s'assit sur un des bancs, où plutôt s'y laissa tomber, et sortit une cigarette qu'elle glissa entre ses lèvres. Elle préférait les cigarettes à l'ancienne, mais il n'y avait que des automatiques dans les distributeurs de Close Haven. Elle fit donc claquer la capsule d'ignition entre ses dents, et entreprit de parfumer ses entrailles à la nicotine, comme disait son capitaine ... enfin ancien capitaine.

« Alor, qu'est ce que vous faites à Close Haven ? Vous êtes d'ici ? »

Elle ne regardait pas la jeune fille blonde quand elle lui parlait, ce qui était très délicat vu que Florentia gardait les yeux fermé afin de calmer un peu sa migraine.

Nysperia laissa apparaître un sourire soulagé sur son doux visage lorsque la patiente lui répéta qu'il n'y avait pas de mal. Pour repartir sur de bonnes bases, l'inconnue proposa à la petite blonde de la rejoindre dehors afin de converser un peu. Hochant la tête, la jeune cyborg s'orienta vers le couloir et interpella une infirmière qui passait par là afin de lui remettre l'un des papiers qu'elle était supposée rendre. En marmonnant que cela n'entrait normalement pas dans son domaine de fonction, l'employée repartit comme elle était venue en s'emparant de la paperasse.

L'adolescente accorda de nouveau son attention à son interlocutrice, désormais vêtue correctement et prête à quitter sa chambre. Ouvrant la marche, Nysperia l'invita à rejoindre la salle verte qui se situait non loin de là. La femme aux pupilles mystérieuses sortit le nécessaire du fumeur et engagea la conversation. Sans être incommodée par la fumée, Nysperia par n'était pas adepte de la cigarette, et ne s'y était encore jamais essayé. Pour ainsi dire, cette perspective ne lui avait jamais véritablement traversé l'esprit, son entraînement et ses cours ne lui permettant pas de s'accorder ce genre de fantaisies... De sa petite voix frêle, la blondinette répondit à la question qu'on lui adressait en observant la végétation.

"J'habite ici, oui, je m'appelle Nysperia Lyxen. J'ai été emmenée à Close Heaven quand j'étais petite avec ma grande sœur. Les gens de Cypher sont très gentils avec nous, il nous ont aidé à nous réintégrer."

L'évocation de ce souvenir douloureux qu'était l'abandon de sa colonie natale provoqua un pincement au coeur chez Nysperia, et la tristesse devint lisible dans ses beaux yeux bleutés. De même, le ton de sa voix en disant long sur son état moral... Elle ne mentait pas, lorsqu'elle exprimait sa reconnaissance vis-à-vis de l'entreprise qui lui avait sauvé la vie. Jusqu'à présent, les employés de l'organisation représentaient un espoir pour les jumelles, une possibilité de se créer une vie nouvelle en faisant fi de leur passé tourmenté.

L'adolescente s'orienta accidentellement vers la fumeuse, et constata avec soulagement que les paupières de cette dernière étaient closes. Une chance pour Nysperia, qui ne supportait que très mal les contacts visuels prolongés avec les inconnus. Cependant, la situation de cette patiente la perturbait. Ce genre d'opération de l'ordre du transhumanisme était rarement effectué à la légère, même dans les locaux de Cypher. Il devait s'agir d'une personne importante pour qu'elle puisse s'offrir ce genre d'augmentation cybernétique.

"Et vous ? Pourquoi êtes-vous venue ici ? Si ce n'est pas trop indiscret, bien sûr..."

Florentia avait entendu la tristesse dans la voix de la jeune femme, mais elle préféra l'ignorer. Elle n'avait pas l'habitude de la tristesse.
Dans sa profession, on était préparé très jeune à l’éventualité d'un drame, "Drame" étant un euphémisme pour "mort". Et Florentia avait fait ses classes dans un monde, où plutôt un univers en guerre depuis presque un siècle. On ne l'avait pas préparée à l'éventualité de la mort, on lui avait dit que quelqu'un qui mourrait de vieillesse n'était jamais qu'un soldat qui n'avait jamais eut l'occasion de croiser la balle qui lui était déstinée. De fait, le simple fait d'être encore en vie la mettait de bonne humeur. Elle n'avait pas la froideur de la glace, mais elle en avait la sécheresse la plupart du temps.
L'Ex-Aveugle remonta son pied gauche pour le glisser sous sa cuisse droite, puis tira sur sa cigarette pour faire quelques ronds de fumée avant de répondre.

« J'ai perdu mes yeux pendant la Bataille de Léviathan. Je servais comme Premier Officier sur un torpilleur qui à essuyé un tir Xoïde pour une forteresse Noxienne. J'ai évacué avec mes hommes après avoir fait mettre le réacteur nucléaire en fusion pour un éperonnage. Par manque de chance ma capsule avait un défaut de polarisation, ce qui fait que mes rétines ont étés cramées par l'éclat de l'explosion. Après j'ai insulté un chef de guerre Noxien, ce qu'il a étrangement aprécié et ce qui m'a valu une promotion et une place dans le programme de remise en service G.I.G de Cypher. Comme quoi, le Karma a vraiment un sens de l'humour de merde. »

Florentia n'était pas du genre à se vanter de ses exploits militaires. Par contre, elle faisait partie des Spationautes qui considéraient que raconter une bataille, c'était rendre honneur à ceux qui y avaient trouvés leur balles.
Suite à sa dernière phrase, un petit sourire apparut sur le visage de Florentia. Ses zygomatiques raidis par les implants de contrôle de ses prothèses donnait un aspect étrange à ses lèvres. Son sourire s'effaça donc pour laisser la place à un série de mouvements de mâchoire et de petites grimaces consécutives aux tentatives de la jeune femme pour tenter de retrouver des sensations normales.
Une fois ce petit jeu terminé, elle ajoutat :
« Enfin, je suppose que par les temps qui courent, on à tous des petites histoires de ce genre à raconter. »