Vingt-sept ans au sein du F.I.D.S et voilà ce qu’il récoltait : un poste de gratte papier, une prothèse mécanique en remplacement de sa jambe droite et trois divorces. Les vertes et glorieuses années du contre-amiral Byron étaient loin derrière lui, et l’état major dans sa sagesse toute puissante avait décidé de laisser une antiquité comme lui moisir dans le plus noble des placards : le bureau des affectations. « La noble mission de participer à la formation de nos futurs officiers, et de contribuer à l’amélioration de nos forces armées », mon cul ! On ne la faisait pas à un vieux briscard comme lui ! Trop vieux, ses méthodes peu orthodoxes et son goût pour l’initiative avait fini par le conduire là où il ne ramènerait plus sa grande gueule. Là il ne gênait plus personne, si ce n’était que le taux d’admission au test d’aptitude au commandement avait significativement chuté depuis sa prise de fonction. Le vieil officier avait parfaitement conscience qu’il avait depuis longtemps dépassé l’âge réglementaire pour continuer à servir sur le pont d’un vaisseau, mais il défiait n’importe lequel de ces petits prétentieux aux couilles plates qui passaient dans son bureau de le prendre sur son terrain. Cependant le nouvel ennemi extraterrestre qui était apparu avait changé la donne. Comme toujours la guerre avait su forger une nouvelle génération qui se révélait prometteur. Parmi les membres de cette nouvelle vague se trouvait le capitaine Florentia Keroeï.

Les rapports à son sujet étaient élogieux, et le dossier qu’il avait sous les yeux reflétait ce qu’on disait à son compte. Elle était loin du parcours classique de l’officier du rang. « Atypique » et « entreprenante » étaient les mots qui revenaient le plus souvent, et ce n’était pas pour déplaire au vieux vétéran. Elle avait connu l’épreuve du feu et elle en était revenue, et le F.I.D.S avait désespérément besoin d’officiers de qualité capable de garder la tête froide dans les pires situations. Son instinct lui disait que cette femme ferait un capitaine de vaisseau tout à fait remarquable avec le temps et l’expérience, et le contre-amiral Nicolas Byron savait que son instinct ne le trompait jamais. Tout en passant en revue ses affectations et les annotations de ses supérieurs, l’officier s’offrit son luxueux et condamnable plaisir sous la forme d’un cigare roulé à la main. Lâchant une épaisse et âcre fumée il acheva de se faire une opinion sur la jeune femme : imprudente, encore inexpérimenté mais pleine de promesse. Il ne voyait aucun obstacle visible s’opposant à sa nouvelle affectation, même s’il lui restait à se faire sa propre idée.

-La bougresse a l’air d’avoir ce qu’il faut pour nous pousser une belle chansonnette. Se souffla-t-il à lui-même avant de lever les yeux vers la porte, attiré par le bruit.

Ponctuelle, un point pour elle. Sa voix rêche ne se fit pas tarder.

-Entrez capitaine Keroeï ! Sans lever les yeux de son cellpad qui affichait toujours son dossier, il lui intima de garder le repos d’un geste las.

Il releva son visage grave, ses traits comme marqué au burin, fixant un regard inexpressif sur la nouvelle venue. Le contre-amiral était de ceux qui sans attacher grande importance au protocole en appréciait certaines vertus : l’affectation à un nouveau poste de commandement était un rite de passage à ne pas négliger à ces yeux. Cédant au côté cérémoniel il quitta sa position assise pour redresser sa forte carrure, reposant lourdement sur sa jambe droite mais sans vaciller. Par le Grand Vide ! Elle semblait encore plus jeune vue de près. Mais il la jugeait sur ses états de service, pas son âge. Laissant un instant de silence passer il prit la parole.

-Capitaine Keroeï, vos états de service parlent pour vous.  Dit-il en projetant un agrandissement de son dossier qui se mit à flotter dans le vide. Beaucoup de vos supérieurs vous accordent du crédit. Personnellement je ne vois encore rien devant moi qui me fasse croire qu’on ait affaire à un brillant élément. Un mince sourire narquois flotta sur son visage. Montrez-moi que je me trompe en prenant dès à présent le commandement du SS Scavenger, navire de classe Krän, actuellement en cale sèche au dock BA-02. Vous vous présenterez à votre équipage à 14 :00. En vertu de l’autorité qui m’est confié par l’état major du F.I.D.S, je suis habilité à vous communiquer dès à présent votre mission qui accompagne votre nouvelle affectation.

Fermant le dossier, il ouvrit l’ordre de mission officiel marqué du sceau virtuel de l’Amiral.

-Vous serez affecté à l’escorte de nos vaisseaux de ravitaillement dans le secteur C03 de la colonie, ainsi qu’à la traque et à la capture ou l’élimination de tout bâtiment se livrant à la contrebande ou à des actes de piraterie se déroulant dans ce même secteur. Plusieurs rapports nous signalent un pic d’activité de ces malfrats qui profitent des points mous de notre défense spatiale. Ils ne sont peut être pas des saloperies extraterrestres, mais nous ne pouvons pas nous permettre d’avoir un tel cancer qui nous ronge de l’intérieur en ces heures sombres. La mission Demeterus requérant la plupart de nos effectifs vous serez plus ou moins livrée à vous-même.

Il acheva ce semblant de cérémonie en la fixant d’un regard sévère, la jaugeant intérieurement avant de s’offrir un de ses rares sourires, le cigare coincé au bord des lèvres. Il la salua sèchement avant de lui présenter sa main.

-Bon courage capitaine.