Ils avaient eu droit à la totale. Assis dans le fauteuil de commandement de son vaisseau, les yeux rivés sur l’écran de contrôle qui flottait devant lui, indiquant la position précise des éléments composant l’escadron qu’il commandait, le capitaine Serghar Drake se remémorait le discours qu’on leur avait servit et la succession d’évènements qui l’avait conduit dans cette position. « P-127(X) un espoir pour l’humanité », ou un foutu caillou perdu dans le trou du cul de l’espace infesté de la pire engeance de saloperie alien depuis les Noxiens. L’ancien militaire n’avait pas caché son scepticisme à propos de cette mission, pas davantage que son dégoût de côtoyer les aliens Noxiens, ou encore son inquiétude discrète mêlé de plaisir revanchard à côtoyer les forces de la F.I.D.S et de Leviathan. Son casier de criminel de guerre destiné à la potence et évadé de prison avait refait surface, mais visiblement les politiques qui avaient décidés du recrutement pour cette mission considéraient que ses capacités valaient bien une certaine « souplesse » à son encontre. De plus, il était dorénavant citoyen de Black Matter, et s’il y avait bien quelque chose qu’Antarès n’acceptait pas : c’était toute forme d’ingérence, même à l’encontre de type de son genre. Néanmoins la première fois qu’il avait été contacté par Antarès et qu’on avait requit ses services, sa première idée avait été de fuir. Un choix rationnel, logique et parfaitement envisageable. Se construire une nouvelle identité était chose aisée dans la société actuelle. Mais son sens des affaires était venu s’en mêler pour l’aider à considérer les choses sous un nouvel angle. Peu de temps après il signait son engagement avec Antarès, direction la flotte expéditionnaire avec un escadron de militaires chevronnés sous ses ordres.

Il s’était crispé la première fois qu’il avait croisé du regard les couleurs de Leviathan, s’attendant à son arrestation à tout instant, avant de comprendre qu’il était sous immunité. Peu à peu, le si stoïque Serghar Drake avait fini par apprécier la situation. En dépit de la puanteur Nox qui lui parvenait jusqu’à la bouche, il y avait quelque chose de jouissif à commander de nouveau. Ce n’était pas là une petite expédition pirate visant à aborder un vaisseau marchand. Au milieu de toute cette agitation, cette activité, il retrouvait le frémissement familier qui l’envahissait avant la bataille. Il reconnaissait la frénésie ouvrière qui secouait le pont d’un vaisseau, précédent l’envoie des troupes pour la guerre. Plus de huit ans après sa démobilisation précipitée, il goûtait de nouveau à la fierté d’être incorporé au milieu de « l’élite ». Malgré ses réticences il reconnaissait au fond de lui que l’humanité vivait sans doute ici quelque chose d’historique. Plus important pour lui, il s’agissait sans doute là d’une autre occasion historique de faire plus de bénéfices qu’il n’en avait jamais rêvés. « Technologie inconnue » deux mots qui avaient tout de suite agréablement sonné aux oreilles du capitaine Drake. Associé à ce type de découverte, il allait immanquablement pouvoir bénéficier des retombées. Pour le moment néanmoins, son attention était retenue par une activité beaucoup plus terre à terre.

Son Hammer, vaisseau cargo de classe Warthog était à la tête d’un escadron de sept chasseurs légers, l’image pouvait être en elle-même comique, mais l’état major avait tenu à ne pas négliger la sécurité pour les opérations de transport sur le terrain. Dans le sens où ils se dirigeaient vers une planète inconnue et infestée de Larvas Xoïdes, il ne trouvait pas cette attention superflue. Serghar avait dû lui-même prendre aux couilles le jeune con qui était à la tête de l’escadron pour lui montrer qui commandait. Il aimait à s’assurer qu’en cas de grabuge on lui obéirait au doigt et à l’œil. Son vaisseau avait embarqué en soute suffisamment de matériel et d’hommes pour monter un camp fortifié. Le capitaine pirate saisie l’ironie qu’il y avait à transporter une marchandise honnête dans un vaisseau contrebandier. La logistique était primordiale pour cette mission, Serghar ne serait qu’un simple taxi, il n’enviait pas le boulot de celui qui allait être chargé de décharger tout ça sur place. La tâche en revenait à un certain Hamibal Mespech. Son visage lui disait vaguement quelque chose, mais il lui était mystérieusement impossible d’y associer un souvenir particulier.

-Sergent, avertissez le contrôle que « Explorer Zero Un » est prêt à partir accompagné de « Paladin », destination aux coordonnées du périmètre désigné sur la surface.

« Paladin » désignait leur escorte, l’état major ne s’illustrait pas vraiment par son imagination pour les noms de code. Serghar se vit signifier que tous les systèmes étaient au clair, et les ordres de confirmation affluèrent dans son canal radio lui indiquant que tout le monde était prêt au départ. Il contacta ce Hamibal, code « Bishop », pour lui dire à lui et son équipe de faire une dernière vérification du matériel. Une précaution sans doute inutile, le matériel affecté à cette mission était le plus récent et le plus perfectionné qu’il lui avait été donné de voir.

-Bishop, ici le capitaine qui vous parle. Préparez-vous avec vos gars au voyage. Nous entrerons dans l’atmosphère dans 00.20 minutes aux dernières estimations. Faites-en sorte que personne ne reste dans mon vaisseau, pas davantage qu’on se marche sur les pieds. Terminé.

Fixant de nouveau l’écran, Serghar savoura la sensation de contrôle qui l’envahissait. Depuis trop longtemps il s’était tenu à l’écart de la vraie action.

La vue offerte depuis l’immense verrière de la salle de commande du Hammer était à couper le souffle. En de nombreuses fois il avait été donné à Serghar de contempler des spectacles étranges et des scènes inhabituelles, cependant rien n’était comparable à ce qui s’étendait devant ses yeux. Verdoyant, luxuriant et horriblement étranger : telles étaient les premières pensées qui assaillaient le capitaine Drake, dont l’attention était néanmoins davantage attiré par l’agitation naissante au sol que par le paysage. Une véritable fourmilière commençait à s’agiter en contrebas. Des colonnes de marcheurs ouvriers se positionnaient en formation pour s’atteler à la tâche. Les immenses machines industrielles de terrassements dépêchés par le S-Reign pouvaient presque faire concurrence avec les engins guerriers de l’IMS. La présence des AS était assez conséquente, signe supplémentaire que le commandement s’attendait à tout. Serghar ne pu s’empêcher de se crisper dans son fauteuil à l’idée que des yeux étrangers les fixaient peut être, à l’affut, prêt à agir. La sensation d’être une cible potentielle était aussi inconfortable que nouveau pour lui. Il ne put s’empêcher de noter toutefois que ce Hamibal accomplissait sa tâche avec brio. Les premières structures solides avaient été érigées sur le périmètre attribué : de vastes hangars prêts à accueillir les fournitures, hommes et matériel de l’expédition. Le capitaine appréciait davantage la présence de leur escadron de protection dans le ciel. Il lui restait encore beaucoup à coordonner. Ce n’est donc que distraitement qu’il répondit à la question du nouveau venu, tâchant de mettre dans sa voix tout le sarcasme possible.

-A quoi peut-on s’attendre sur une planète inexplorée et visiblement hostile à l’homme ? Je répondrais en un mot monsieur Mespech : absolument tout. Les rapports nous ont communiqués la présence possible de larvas et autres specimens Xoïde dans les environs. Le dispositif déployé par l’IMS devrait nous garder de tout souci, mais je suggérerais que notre propre personnel ne s’égare pas de la zone attribué. Je serais fort gêné de devoir passer par les flammes de décontamination quelques étourdis. Acheva-t-il sur un ton qui soulignait clairement le contraire.

Néanmoins Serghar ne désirait nullement avoir affaire à cette engeance extraterrestre qu’il assimilait à une vermine au moins pire que les Noxiens, ce qui n’était pas peu dire. Le capitaine n’avait nullement l’intention de se retrouver impliqué dans un combat avec de pareils horreurs. Le courage ne lui faisait pas défaut, mais il ne manquait pas davantage de bon sens. Si les Xoïdes décidaient à attaquer en masse, même les AS de l’IMS ne pourraient être d’un grand secours. Le capitaine mercenaire gardait bien quelques bombes incendiaires dans ses soutes, mais il doutait que ses supérieurs comprennent le bien fondé de son acte s’il se décidait à larguer le tout sur le campement. Pour le moment néanmoins il n’y avait rien à l’horizon. Ce qui n’était pas forcément de bon augure.

-Je vous suggérerais une mission de reconnaissance monsieur Mespech. Quelques informations fraîches du terrain pour savoir ce qui nous entoure ne seraient pas du luxe. Vaisseaux légers de reconnaissance et sondes portables sont à votre disposition, notre état major n’a pas lésiné sur les moyens de ce côté-là. Je resterais ici pour assurer la liaison radio, je pense que notre commandement ne cracherait pas sur une carte des environs.

Il disait vrai : omnitrons d’exploration et autres glisseurs étaient disponibles en nombre. Serghar ne tenait pas vraiment à mettre le nez dehors, mais envoyer son acolyte imposé là-bas ne le gênait guère.

Le message du commandant en chef se propageait dans tous les vaisseaux de la flotte : en orbite ou en surface, comme un virus vorace. Il trouva son chemin aisément jusqu’au Hammer qui avait bénéficié pour l’occasion d’une identification F.I.D.S qui devait faire la joie de son pirate de capitaine, sans aucune doute. Même pour des gens de son acabit l’Etat-Major avait trouvé un rôle. Le colonel Nichols n’était guère heureux de compter des gens comme le criminel Drake, aussi avait-il veillé personnellement à ce qu’on lui attribue un poste à risque dans le déroulement des opérations. Sa fierté d’officier avait souffert de se voir affubler de la présence d’un tel ailier au passé aussi encombrant et honteux. Il espérait de tout cœur le voir périr, peut lui importait si cet obscur Hamibal Mespech y passait aussi. Il n’avait que mépris et méfiance envers les ressortissants de Black Matter, depuis que ces tarés de fanatique y avaient pris le pouvoir. Certains de ses propres amis y étaient même mort. Nichols savait qu’il était peu professionnel de faire primer ses émotions et son ressentit personnel sur la réussite d’une mission mais il ne pouvait supporter plus d’un instant se tenir sur le même plan qu’un criminel de guerre et un amateur. Aussi prit-il un malin plaisir à annoncer lui-même la nouvelle à ce bandit autoproclamé capitaine et son acolyte.

-Messieurs ! Je me fais le relais du commandant Dickens qui vous félicite au passage de votre célérité dans le déroulement des opérations au sol. Cependant nous en sommes qu’au début. J’ai pu voir que vous aviez entrepris des opérations de reconnaissance, et même si je félicite votre…prévenance, nous avons d’ors et déjà tous les renseignements nécessaires.

Cracha-t-il avec mépris avant de poursuivre.

-Ordre vous est donné à vous et à votre camarade d’assister plus directement les équipes au sol en ouvrant la voie aux troupes de l’IMS. Vous serez assisté par nos alliés Noxiens dans cette entreprise. Un itinéraire d’exploration de la forêt vous sera communiqué sous peu. Rappelez-vous les recommandations de notre commandant : tout blessé fera l’objet d’une élimination de circonstance pour éviter une propagation d’une éventuelle contamination. Bonne chance messieurs.

Le colonel savoura son moment : mettre Serghar Drake en compagnie de Noxiens était le comble qu’il pouvait lui imposer. Quant à l’autre envoyé de Black Matter il doutait fort de ses capacités pour survivre. Maintenant plus que jamais, l’officier du F.I.D.S apprécia le confort et la sécurité de la cabine de son vaisseau.